Dieu, le chrétien et le plaisir

Est-il permis de prendre soin de soi sans devenir nombriliste ou égoïste ? Peut-on prendre du plaisir licite sans mauvaise conscience ? S’en priver, n’est-ce pas oublier qu’il faut s’aimer pour aimer les autres ? Comment trouver un équilibre sans être qualifié d’être épicurien (nom de cette philosophie grecque optant pour le plaisir à tout crin) ? Comment trouver les délices après lesquels notre cœur soupire sans nous blesser dans leur recherche ? Au fond, comment jouir de la vie sans la profaner ?
Voilà des questions auxquelles il convient de répondre pour soi mais aussi face aux personnes qui ne professent pas la foi chrétienne et cela au sein d’un monde plutôt tourné vers l’individualisme forcené.

En vérité, une sagesse est nécessaire pour nous affranchir du légalisme sans tomber dans le laxisme, pour connaître la liberté de jouir de la vie dans le sens le plus noble du terme !

« C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. » (Galates 5/1).

I – EFFETS PERVERS D’UNE TENDANCE AU LEGALISME

Dans la tradition chrétienne puis réformée, on a longtemps prôné le don de soi, l’abnégation, la retenue, et une certaine méfiance à l’égard des « plaisirs terrestres », jugés futiles, égoïstes et cause de perdition. Dans la prière attribuée à François d’Assise, il est dit explicitement : « Car c’est en donnant que l’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve. »

Cette façon de s’exprimer a provoqué un effet pervers : trop donner empêche de pouvoir recevoir, s’oublier pour se mettre entièrement au service des autres est souvent une bonne excuse pour ne pas penser à soi. L’amour du prochain « avant tout » peut alors devenir prétexte à se perdre dans l’activisme et à éviter tout contact avec ce Moi encombrant et problématique. De là à refuser de prendre soin de soi, il n’y a qu’un pas. Or , la Bible dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19/18 ; Matthieu 19/19). C’est comme si le commandement d’amour du prochain avait été amputé de son deuxième terme, que l’on avait gommé le « comme toi-même ». C’est curieux. Quelle honte y a-t-il à prendre soin de soi ? Pourquoi cette méfiance à l’égard de ce qui peut faire du bien ? Peur des réactions imprévisibles de son corps ? Peur d’être dépassé par des émotions ou sensations inconnues ? Peur de la futilité ? Refus d’entrer dans un système de consommation de loisirs de luxe ? Mauvaise conscience à l’égard de tous les défavorisés de la Terre ? Sans doute de tout un peu.

Pourtant, la Bible est bien moins austère. Elle n’est pas dépourvue de récits insistant sur le fait que le corps et l’esprit, l’amour de soi et l’amour de l’autre sont intimement liés. Nous aurions tort de l’oublier.

Même si le plaisir tel qu’il est pratiqué aujourd’hui ne correspond pas exactement aux habitudes du monde biblique, on y trouve de nombreuses pistes invitant à prendre soin de soi. Dans l’Ancien Testament, le Cantique des cantiques est une ode à la beauté, à la sensualité et à la jouissance. Ce livre est une invitation claire à jouir de la sexualité dans le cadre voulu par Dieu, à savoir l’institution du mariage, tellement décriée de nos jours. Le livre de l’Ecclésiaste mérite également une mention particulière. Dans ses réflexions, le sage Salomon aborde avec une grande lucidité les questions du bonheur, de la vanité, du lot de l’homme face à la vie et la mort. Sa réponse est étonnamment actuelle : « Va, mange avec joie ton pain, et bois gaiement ton vin ; car dès longtemps Dieu prend plaisir à ce que tu fais. Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs, et que l’huile ne manque point sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de ta vie de vanité, que Dieu t’a donnés sous le soleil, pendant tous les jours de ta vanité ; car c’est ta part dans la vie, au milieu de ton travail que tu fais sous le soleil. » (Ecclésiaste 9/7-10) Il veut dire à ses lecteurs que, parce que la vie est courte, il vaut la peine d’en prendre soin dans les moindres détails, en commençant par déguster la nourriture et savourer un bon vin, puis en soignant son apparence : vêtements de fête, parfum, et pourquoi pas joli maquillage. C’est une invitation à goûter l’instant présent tous sens en éveil. Avec la lucidité que procure le sentiment de l’éphémère, c’est prendre le temps de se faire du bien. En sachant pertinemment que chacun de nous est incapable de rajeunir ou de repousser la mort, c’est oser tranquillement savourer les bienfaits de l’eau, d’un massage, d’un moment entre soi et soi. Car c’est à cause de la mort, en fin de compte, que la qualité de l’instant se trouve intensifiée. Et si c’était le dernier ? Il vaut la peine de le ciseler, de le peaufiner. Pour le plaisir que cela procure et pour la beauté du geste. Même si c’est totalement vain, cela fait du bien.

La conclusion de l’Ecclésiaste est que tout cela n’a de valeur et ne prend son sens qu’en Dieu, notre Créateur :
« Écoutons la fin du discours : Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là ce que doit faire tout homme. Car Dieu amènera toute oeuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal. » (Ecclésiaste 12/13-14).

II – JESUS N’ETAIT PAS EN RESTE

Jésus fréquentait les mangeurs et les buveurs. Sans oser dire qu’il aimait faire ripaille, je dirais plutôt que sa grande spiritualité le plaçait dans cet équilibre de jouir de tout ce que le Créateur avait mis à la disposition des hommes. Quoi de plus naturel à ce que le Fils de Dieu, qui a tant aimé les hommes qu’il a donné sa vie sur la Croix pour eux, ait aimé leur compagnie et ait aimé savourer la convivialité d’un festin ou d’un bon repas. Par son amitié envers les pécheurs, Jésus a su les gagner car son autorité était aussi manifeste lors d’un festin qu’elle l’était lorsqu’il enseignait dans une synagogue. Jésus était fait d’un seul bloc, il n’avait pas une vie cloisonnée, sa vie était intègre. Il fréquentait les pécheurs qu’il allait sauver. Ce contact avec les pécheurs n’a pas fait de lui un pécheur, il est resté sans tache.

Aux noces de Cana, Jésus a transformé l’eau en vin, ce qui fut même son premier miracle. N’est-ce pas une incitation à fabriquer des instants privilégiés où le corps n’est pas le parent pauvre de la spiritualité ? Que dire de ces croyants qui passent tout leur temps en prière et en spiritualités diverses, sans se soucier de leur corps et de leur famille ?

L’épisode de la femme au parfum va également dans ce sens : elle déverse sur Jésus un parfum de grand prix. Les disciples l’accusent de gaspillage : on aurait pu donner cet argent aux pauvres, grommellent-ils. Mais Jésus leur indique qu’en faisant ainsi, elle a anticipé sa mort expiatoire et, de plus, y a mis tout son cœur.
Cela va à l’encontre de l’esprit pingre qui pourrait caractériser les croyants. Jésus n’était pas de l’avis de ces moines qui sont au pain et à l’eau !
Jésus ne dédaignait donc pas les fêtes et les moments de détente. Rappelons au passage que Dieu avait institué en Israël 7 fêtes ! Jésus transgressait les tabous du jour du sabbat, « laissant les apôtres croquer dans les épis dorés, tandis que tous les coincés de la ville les regardaient, outrés. Le sabbat était devenu un pensum, un jour où il fallait se plier, morose, à une litanie d’interdits, au lieu d’être un moment de rendez-vous privilégié avec le Père et ses enfants » (Michelle d’Astier de la Vigerie, la Religiosité, gangrène de l’Eglise).
Jésus disait : « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2/27). Le légalisme est un étouffe chrétien, dit Michelle d’Astier de la Vigerie, avec force raison.

III – TOUS LES PLAISIRS NE SONT PAS ILLEGITIMES

Il y a du bonheur à écouter, goûter, contempler, savourer et toucher. Ce sont là des éléments de la vie et il n’y a pas à décliner l’offre qui nous est faite de profiter de la vie ici-bas, sous le regard du Dieu qui l’a permis.

Un ancien drogué canadien racontait un jour que lorsqu’il s’est tourné vers Jésus-Christ et que sa vie a été transformée, alors pour la première fois, ses yeux se sont éveillés à la beauté de la nature qui l’environnait ; la vie sans Dieu et la servitude du péché l’avait privé de cette bénédiction, sa nouvelle vie en Christ allait lui restituer ce bien perdu.

Que dire de la sexualité dans le cadre d’un mariage d’amour, qui est un moyen d’épanouissement voulu par Dieu non pour procréer seulement mais pour la bénédiction du couple.

Ajoutons encore que la réflexion intellectuelle peut aussi être un plaisir.

LIMITES

Aussi, Dieu n’est pas contre les plaisirs mais dans quelles limites ? Le plaisir ne doit pas être une fin en soi. L’apôtre Paul parle d’une génération dont l’une des caractéristiques est « aimant le plaisir plus que Dieu » (2 Timothée 3/4).

Pour revenir à l’Ecclésiaste, ce dernier parle du danger des plaisirs sans Dieu « sous le soleil », système fermé d’un monde refusant son Créateur et son Rédempteur.
Ce grand roi a tout essayé : « J’ai dit en mon coeur : Allons ! je t’éprouverai par la joie, et tu goûteras le bonheur. Et voici, c’est encore là une vanité. J’ai dit du rire : Insensé ! et de la joie : A quoi sert-elle ? Je résolus en mon coeur de livrer ma chair au vin, tandis que mon coeur me conduirait avec sagesse, et de m’attacher à la folie jusqu’à ce que je visse ce qu’il est bon pour les fils de l’homme de faire sous les cieux pendant le nombre des jours de leur vie. J’exécutai de grands ouvrages : je me bâtis des maisons ; je me plantai des vignes ; je me fis des jardins et des vergers, et j’y plantai des arbres à fruit de toute espèce ; je me créai des étangs, pour arroser la forêt où croissaient les arbres. J’achetai des serviteurs et des servantes, et j’eus leurs enfants nés dans la maison ; je possédai des troupeaux de boeufs et de brebis, plus que tous ceux qui étaient avant moi dans Jérusalem. Je m’amassai de l’argent et de l’or, et les richesses des rois et des provinces. Je me procurai des chanteurs et des chanteuses, et les délices des fils de l’homme, des femmes en grand nombre. Je devins grand, plus grand que tous ceux qui étaient avant moi dans Jérusalem. Et même ma sagesse demeura avec moi. Tout ce que mes yeux avaient désiré, je ne les en ai point privés ; je n’ai refusé à mon coeur aucune joie ; car mon coeur prenait plaisir à tout mon travail, et c’est la part qui m’en est revenue. Puis, j’ai considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits, et la peine que j’avais prise à les exécuter ; et voici, tout est vanité et poursuite du vent, et il n’y a aucun avantage à tirer de ce qu’on fait sous le soleil. » (Ecclésiaste 2/1-11).

Il va parler de certains des mêmes plaisirs qu’il évoque, mais dans le cadre du Plan de Dieu :

« Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail ; mais j’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu. Qui, en effet, peut manger et jouir, si ce n’est moi ? Car il donne à l’homme qui lui est agréable la sagesse, la science et la joie ; mais il donne au pécheur le soin de recueillir et d’amasser, afin de donner à celui qui est agréable à Dieu. C’est encore là une vanité et la poursuite du vent. » (Ecclésiaste 2/24-26).

La reconnaissance envers Dieu, comme étant l’auteur de tous ces bienfaits change la donne.

Dans le livre des Juges, au chapitre 7, la troupe des soldats israélites en route pour aller combattre l’ennemi Madianite va sa désaltérer mais cette pause va les rafraîchir, sans les distraire ni les écarter de leur but ultime, voilà une belle illustration de ce que doit être le plaisir pour le chrétien. Il ne doit pas nous distraire de notre chemin.

Suzanne Wesley, la mère de Charles et de John Wesley, mère de 19 enfants, fit cette réponse pesée à l’un de ses enfants qui lui demandait une définition du péché : « Tout ce qui affaiblit ton raisonnement, porte atteinte à la sensibilité de ta conscience, obscurcit ton sens de Dieu ou atténue ta faim des choses spirituelles est péché. Autrement dit, tout ce qui développe l’autorité et le pouvoir de la chair sur l’esprit est péché pour toi, même si c’est bon en soi ».

En gros, si l’objectif de notre vie est de marcher près de Dieu, il faudra parfois renoncer à ce qui est bien au profit du mieux, dit Ravi Zacharias, penseur et apologète chrétien.

Voici un exemple de quelqu’un qui a perdu l’objectif de vue : Samson. Il a aimé les plaisirs plus que sa vocation et sa vie spirituelle.

Tout ce qui nous rafraîchit sans nous diminuer, sans nous distraire ni nous écarter de notre but ultime est un plaisir légitime. Si tel n’est pas le cas, il s’agit d’un plaisir auquel renoncer.

2 Samuel 23/15-17 nous dit : « David eut un désir, et il dit : Qui me fera boire de l’eau de la citerne qui est à la porte de Bethléem ? Alors les trois vaillants hommes passèrent au travers du camp des Philistins, et puisèrent de l’eau de la citerne qui est à la porte de Bethléem. Ils l’apportèrent et la présentèrent à David ; mais il ne voulut pas la boire, et il la répandit devant l’Éternel. Il dit : Loin de moi, ô Éternel, la pensée de faire cela ! Boirais-je le sang de ces hommes qui sont allés au péril de leur vie ? Et il ne voulut pas la boire. Voilà ce que firent ces trois vaillants hommes. » David s’est refusé le plaisir de boire alors qu’il le pouvait.

Tout plaisir qui met en danger l’existence sacrée d’un autre est un plaisir illicite. En une autre occasion, le roi David n’a pas appliqué ce principe, il a commis la faute de prendre la femme d’un autre et de faire tuer cet homme. La conséquence fut non seulement la mort de cet homme, Urie, mais aussi des drames inouïs.

En Proverbes 25/16, l’Ecriture dit : « Si tu trouves du miel, n’en mange que ce qui te suffit, De peur que tu n’en sois rassasié et que tu ne le vomisses. »

Ce texte nous enseigne que tout plaisir, aussi bon soit-il , qui n’est pas consommé de façon équilibrée, fausse la réalité et détruit l’appétit.

Assurons-nous que nos plaisirs soient du « miel », qu’ils nous fassent du bien et non du mal. Même légitime, le plaisir doit être modéré : « …soyez sobres… » (1 Pierre 1/13), sans quoi il devient obsessionnel ou monotone. Il est nécessaire de conserver un juste équilibre entre les différentes activités de la vie.

Dieu avait organisé des fêtes pour Israël à différents moments de l’année (cela nous parle de diversité et la diversité est le piment de la vie).

Le célèbre prédicateur Charles Spurgeon avait l’habitude de se promener et de jouir de la beauté et des bruits de la nature et alors qu’un jour, il cherchait un texte pour illustrer sa prédication, il fut inspiré par ce qu’il vit qui l’environnait. La création est en effet très éloquente.

Dans la mesure où il ne porte pas atteinte à autrui et permet de mener une vie équilibrée, le plaisir est un don de Dieu. Dieu est le point de convergence de nombreux sentiers de la vie, il constitue le délice suprême pour le croyant.

Il est même dit « Fais de l’Éternel tes délices, Et il te donnera ce que ton coeur désire » (Psaumes 37/4) et « Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien : Je place mon refuge dans le Seigneur, l’Éternel, Afin de raconter toutes tes œuvres » (Psaumes 73/28). Le Psaume 1/2 parle aussi de celui qui trouve son plaisir dans la Parole de Dieu et la médite jour et nuit.

Il faut aussi savoir dire non à ce qui nous détourne de notre but. Un pilote américain fait prisonnier au Vietnam a refusé de trahir sa nation. Il a dit non et a accepté la torture. Quel enseignement de voir que des gens sont capables de dire non pour ne pas trahir leur peuple. Guy de Maupassant a dit : « j’ai tout convoité et je n’ai joui de rien », cela donne à réfléchir.

« ayant les regards sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l’ignominie, et s’est assis à la droite du trône de Dieu » (Hébreux 12/2). Le plaisir n’est pas une fin en soi. La joie devrait en être le but ultime, à savoir le sentiment d’avoir atteint le but, le contentement d’être et non de faire devrait nous habiter.

Pour nous chrétiens, trouvons-nous du plaisir à servir Dieu ? A lire sa Parole ? A le connaître ?

Jésus était quelqu’un de joyeux ; un jour,il tressaillit même de joie (Luc 10/21).

CONCLUSION :

En conclusion, Dieu est la source de tout vrai plaisir. Plus on s’approche du plaisir légitime, plus on s’approche du cœur de Dieu. La vie chrétienne ne doit pas être vue sous un jour triste car si on vit selon les principes de Dieu, on peut jouir des plaisirs légitimes et ceux-ci nous rapprochent de Lui, c’est une vie vécue à 100% du point de vue de l’intensité. En effet, nos contemporains veulent tout très vite mais l’insatisfaction qui en résulte ne prête guère au doute. Il n’y a pas photo, comme on dit.
« Quand on tourne vers lui les regards, on est rayonnant de joie, Et le visage ne se couvre pas de honte » (Psaumes 34/5).

Dieu lui-même trouve du plaisir en nous, comme il en trouve en Christ : « L’Éternel aime ceux qui le craignent, Ceux qui espèrent en sa bonté » (Psaumes 147/11).
« L’Éternel, ton Dieu, est au milieu de toi, comme un héros qui sauve ; Il fera de toi sa plus grande joie ; Il gardera le silence dans son amour ; Il aura pour toi des transports d’allégresse » (Sophonie 3/17).

Croyants, usez du plaisir selon ces critères et quel témoignage joyeux et plein d’espérance sera rendu au monde par une telle attitude équilibrée !